17 décembre 2010

WikiLeaks mouille Juppé. Uchronie bordelaise

Ça vient de paraître, WikiLeaks a mis en ligne (sur son site ouzbek, les autres ayant été fermés sur injonction américaine) des documents particuliers prouvant que lors de son « voyage au Québec » le maire de Bordeaux et actuel Ministre de la Défense, Alain Juppé, aurait été recruté par les services de renseignement nord-américains.



L’annonce a eu l’effet d’une bombe en France. A côté de ça, la nouvelle de l’auto-arrestation de Julian Assange, pourtant homme le plus célèbre au monde du moment a fait l’effet d’un feu de paille : ça se consomme vite et part en fumée. Imaginez, un ancien premier ministre de la République cloué au pilori de la justice pour de sombres affaires d’emplois fictifs, parti se refaire une virginité overseas, puis revenu d’entre les morts politiques pour entamer une seconde vie. Le ciel semblait être sa seule limite, d’aucuns commençaient à lui trouver un destin présidentiable. Et puis le ciel s’est ouvert.

« Plus dure sera la chute » (proverbe chinois)

Un câble diplomatique émis par l’ambassade américaine à Montréal que Tintamarre Hebdo a pu consulter révèle qu’à partir du 12 août 2005, Alain Juppé a été recruté et formé par un agent de la CIA en poste au Canada dans le but de servir d’agent dormant lors de son retour en France.
Tombant après le gros des révélations du Cablegate de WikiLeaks, dans une semaine où le gros de l‘actualité aura été 12 centimètres de neige sur Paris, cette information fait la une de toute la presse hexagonale et jette une fois de plus le discrédit sur notre classe politique. Alors que Papa Charlie Pasqua a commencé à vider son sac à la presse pas plus tard qu’hier, un autre poids lourd du chiraquisme vient défrayer la chronique. Et de quelle manière !

Tout a commencé par un diner à l’ambassade américaine alors que l’ancien premier Ministre était parti s’oxygéner au Canada. Et s’éloigner quelques peu de la vie politique française. C’est là que la proposition de rejoindre les rangs de la CIA lui a été faite. En échange les représentants de Langley s’engageaient à faciliter son retour sur le devant de la scène en France. Le câble rapporte qu’après avoir refusé mordicus de prime abord, la soirée avançant, Alain Juppé aurait fini par craquer. Les paroles sont violentes. Directes. Dans la bouche du alors futur-ex-maire de Bordeaux, les mots ne sont pas mâchés. Ils sont crachés à la face de ceux qui l’ont déçu :
« La France m’a lâchée de toute façon. J’ai été choisi comme bouc émissaire par Chirac. Ah il est beau « le meilleur d’entre nous » dans sa cabane au Canada. Il s’est bien foutu de moi. »
Les propos sont rapportés en français (et traduits) et le câble s’achève sur des discussions autour du nerf de la guerre. Le financement. Mais les chiffres ayant été masqués, nous ne sommes pas en mesure de vous révéler la somme sans risquer de glisser sur une pente dangereuse. D’autres soirées de ce genre eurent lieu à intervalles réguliers au cours du séjour d’Alain Juppé à Montréal.

Après le premier repas avec l’ambassadeur américain au Canada, il est à noter une corrélation avec la disparition des critiques fortes ayant accompagné sa prise de fonction à l’ENAD (École Nationale d'Administration publique). Plus de « quelqu’un de condamné à une peine d’éligibilité donnant des cours à de futurs hauts-fonctionnaires, c’est choquant », disparues, envolées les critiques. Évaporées. Et tel le fils prodigue de la Bible, finalement, il est revenu.

Juppé l’américain

Réélu maire de Bordeaux après la démission mystérieuse de la quasi-totalité du Conseil Municipal (interprétée à l’époque comme une marque de fidélité, on est désormais en droit de chercher la main de la Compagnie derrière cet évènement), Alain Juppé s’est d’entrée mis au travail. Et si l’on reprend une à une les décisions prises par le maire de Bordeaux depuis son retour du Québec, la coïncidence est troublante. Pas une décision qui aille dans le sens inverse du bon vouloir de la Maison Blanche.

L’épisode de la critique de la réintégration de la France dans l’Otan est fortement commenté dans les documents que Tintamarre Hebdo a pu consulter. Il s’agit, d’après l’ambassadeur américain qui est devenu son chaperon, d’une stratégie préparée à l’avance afin de rendre à Alain Juppé de son aura perdu avec sa condamnation. Et au nombre des mémos rendus publics par WikiLeaks figure la copie annotée du discours que le maire de Bordeaux a tenu à la presse en critiquant la position du gouvernement français. Mais en étant daté du jour d’avant.

De même, sa rentrée au gouvernement alors qu’il avait promis de demeurer à Bordeaux se trouve expliquée. Les enjeux étaient trop importants pour Washington pour qu’elle se permette de se passer d’une pièce de cette importance à cet endroit de l’échiquier.

A une époque où les pays doivent faire ceinture à tel point que le Royaume Uni et la France ont mutualisé leur Défense, la nomination d’un agent opérant pour la CIA à la tête du ministère de la Défense français a de quoi rassurer les américains quant à la sécurité de leur technologie nucléaire. Pas un cheveu ne bougera sans que les américains n’aient leur mot à dire.

Vu dans cette optique, le retournement de veste assez peu argumenté coule de source. Un peu comme s’il savait qu’il n’avait pas le choix.

De même, le grand projet Euratlantique initié par Alain Juppé est marqué par une volonté forte de tourner la métropole girondine vers l’autre côté de l’eau. Et l’on ne parle pas ici de la rive droite de Bordeaux mais bien de la rive gauche de l’océan Atlantique. Même le nom est clair comme de l’eau de roche. Euratlantique. D’autres documents publiés montrent que les américains et Alain Juppé ont réfléchi ensemble à la possibilité de réclamer la ville de Bordeaux à la France en se fondant sur des archives remontant à la période anglaise de l’Aquitaine. De cette façon, le vin de Bordeaux entrerait au patrimoine culturel américain, le projet pharaonique du Pont sur l’Atlantique en se fondant sur la technologie commune au Golden Gate et au Pont d’Aquitaine aurait un point de chute sur le continent européen et les Girondins de Bordeaux seraient à nouveau compétitifs en tant que franchise MLS (NDLR : ils ont depuis gagné un titre, mais replongé ensuite dans le ventre-mou du championnat de France).

Réactions en chaine

A partir du moment où ces faits furent rendus publics, les réactions se mirent à pleuvoir en France. Suspendant le temps, chacun alla de son commentaire. Brice Hortefeux le premier est monté sur le front et a déclaré

« il n’y a pas de pagaille. Tout ceci n’est qu’affabulation venant d’un site dirigé par un déviant pervers »Marine le Pen a quant à elle fustigé la duplicité d’un homme politique symbole de gouvernants ayant perdu le sens à la fois commun et patriotique. Quant à l’opposition, elle n’a pas encore sorti son communiqué sur le sujet, mais en off, Manuel Valls nous a confié que cet épisode ne le surprenait pas venant de la part d’un homme ayant montré depuis sa prise de position lors du génocide rwandais que l’intérêt national n’était pas nécessairement le sien. Même Mélenchon est momentanément sorti de sa rhétorique anti-journalistique pour venir lire son communiqué sobrement intitulé
« je l’avais écrit. Qu’ils s’en aillent tous ! »
De passage à Moscou, François Fillon a immédiatement réagi lors de la conférence de presse commune qu’il tenait avec Vladimir Poutine.
« Je suis choqué. Je ne parviens pas à imaginer que ces assertions aient la moindre valeur. WikiLeaks s’est cette fois complètement ridiculisé en prouvant qu’ils racontent n’importe quoi. A propos de l’Iran ou de l’Arabie saoudite je veux bien, mais qu’ils ne s’attaquent pas à la France. »
S’étant fait traduire les paroles du pilote de formule 1 de l’hôtel Matignon, le premier Ministre russe Vladimir Poutine s’est insurgé et l’a entrainé dans un long débat qu’il a conclu d’un
« Alors, vous savez, comme on dit à la campagne, certaines vaches peuvent meugler mais il vaut mieux que la vôtre se taise. Je renvoie donc la balle à nos collègues américains »
tout en préconisant le don immédiat du prix Nobel de la Paix à Julian Assange pour avoir, un peu comme Edison, apporté la lumière à la planète entière.

Officiellement, si Alain Juppé n’a pas fait partie de la cohorte accompagnant le centurion de l’Elysée et sa moitié dans leur voyage en Inde, c’est parce qu’il devait demeurer à Paris afin de superviser les évènements en Côte d’Ivoire. Mais au vu des dernières révélations, il apparait clairement que le Président n’a pas souhaité amener avec lui une source de problèmes pouvant gêner la vente de réacteurs nucléaires nouvelle génération.

Bref, l’affaire fait grand bruit dans le landernau politique et il y a fort à parier que des répercussions importantes devraient suivre.

L’insurrection qui vient

A Bordeaux, elles ont déjà commencé. Sitôt le premier communiqué publié, le site de la mairie de Bordeaux a été pris pour cible par le collectif de hackers « Anonymous » défendant la liberté d’expression et WikiLeaks. Un nombre de connections dépassant le double du nombre d’habitants de la métropole aquitaine a été comptabilisé dans l’heure suivant les révélations. Littéralement, des millions de petits boulets rouges ont submergé la page d’accueil en convergeant vers la photo du maire. Abattu à boulets rouges.

Dans le même temps, un gigantesque cortège de manifestant s’est constitué de manière improvisée, regroupant toutes les catégories de la population, la police ouvrant le cortège, mais en portant des pancartes en lieu et place de boucliers. Dépassant largement le plus grand cortège de manifestation anti-réforme des retraites, la foule a littéralement rempli l’esplanade des Quinconces avant de fondre sur la ville et le Palais Rohan, siège de la mairie de Bordeaux. A l’heure qu’il est des pavés ont été descellés, des barricades érigées et la ville est comme envahie de fumée. L’équipe municipale, devenue la cible des manifestants du fait de l’absence du Maire-Ministre-Agent double, a dû fuir en urgence à bord d’un bateau battant pavillon américain.
NB : Comme précisé dans le titre, cet article est une uchronie. Toute ressemblance avec des faits et publications récents ou le film récompensé d’un réalisateur en procès est purement et simplement fortuite. « L’histoire est entièrement vraie, puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre » (Boris Vian)
Article publié initialement sur Tintamarre Hebdo
Texte & images ©Clément Martel - Tous droits réservés