6 avril 2009

Petite balade en un autre monde possible


La voix avait une sonorité métallique alors que s’évadant des hauts parleurs elle nous souhaitait un agréable voyage en mentionnant la présence d’un wagon-restaurant à bord. Eveillé en sursaut par ce message incongru, je tentais de retourner dans les bras de Morphée, histoire de récupérer en perspective. Rapidement le balancement régulier du train m’assoupit.
- Monsieur ?
Quelqu’un me frappe doucement le genou. J’ouvre un œil. Stupeur, un fonctionnaire de la police ferroviaire me dévisage bizarrement.
- Pas les pieds monsieur !
Ouf, ce n’était que ça, mes pieds sur la banquette. Je peux entendre mon cœur battre la chamade alors qu’il s’éloigne dans le couloir. Ce n’était pas le moment de s’attirer des ennuis, avec ce qu’il se prépare en cette fin de semaine, mieux valait ne pas faire de vague, ne pas risquer de se faire remarquer dans un train. Avec les antécédents qui me collent à la peau et la tendance actuelle à enfermer pour un oui pour un non les suspects d’ultragauche trainants aux abords des voies ferrées.

Le train ralentissant, je vérifie mes affaires pour la dernière fois : des chaussures confortables avec lesquelles je peux courir, des vêtements sombres à capuche afin de protéger du soleil, des attaques chimiques et d’une identification, … et quelques broutilles en conformité avec le Guide de la Black Cross (la Croix Rouge des communautés radicales comme elle se présente elle-même). Ces vérifications opérées, la nuit est tombée lorsque le train entre en gare.

Strasbourg. Sa cathédrale, son fleuve majestueux, ses ruelles médiévales en ces premiers jours de printemps. Voilà quelques temps que j’envisageais de venir dans cette cité, il faut croire que l’occasion fait le larron. Mais le temps n’est pas pour la visite touristique, j’ai à faire. Nous nous sommes mis d’accord par le biais d’internet pour nous retrouver dans un vieux squat abandonné, j’y arrive après quelques détours histoire de prendre mes marques dans la ville pour demain et de dissuader d’éventuels filatures. On n’est jamais trop prudent. La prise de contact est saine, cordiale mais sans cette odeur suintante bien-pensante et hypocrite. On sait pourquoi on est là, on sait ce que l’on a à faire. Le reste n’est que broutilles, "dust in the wind" aurait dit Kansas. Je passe sur la nuit occupée diversement avec diverses personnes.

A l’aube, l’air apporte une odeur de souffre alors que le soleil foudroie et irise le ciel. Beaucoup de coups vont pleuvoir dit l’un de nous, paraphrasant Legolas, ce qui déclenche un fou rire général parmi nous. Ayant révisé les techniques d’action directe, chacun s’équipe en vue de la manif. Ce weekend, le sommet de l’Otan se tient dans la ville-europe, une bonne occasion de manifester en vue d’un monde meilleur. Les rues bruissent des peace & lovers enpancartés multicolores se rendant au départ du cortège. Si j’avais encore mes illusions sur le monde, je le rejoindrais … comme avant. L’essentiel c’est de participer me rebat-on les oreilles depuis ma plus tendre enfance. Mais participer aux manifestations approuvées par l'État ne constitue pas en soi une forme de résistance. Un permis ne sera jamais émis pour une révolution. Aussi devons-nous avoir recours aux actions militantes combatives, comprendre et orchestrer des actions directes. Car sinon j’ai bien vu que tout ceci ne sert à rien, qu’au final les manifestations n’aboutissent à rien et que le monde reste aux mains des mêmes. Obama ? Bien sur, rien ne va changer, et d’ailleurs "pourquoi le changer le monde ? Il est très bien comme ça" dit Hubert Bonisseur de la Bath alias OSS 117 en 1967. Voilà pourquoi désormais j’opte pour une autre forme de manifestation. Plus radicale. Pas forcément plus efficace à long terme mais bien plus significative et spectaculaire. Le Black Block. Après en avoir longtemps étudié le fonctionnement, Strasbourg est l’occasion pour moi de me lancer. Non pas une simple mise en scène pour les médias, l’action vise à "perturber l’infrastructure capitaliste en bloquant les principales artères, en forçant les entreprises à fermer, en en détruisant la propriété des corporations et de la police et en empêchant la tenue d'importantes rencontres." Voilà la théorie ; pour la pratique, nous allons voir : un par un, chacun quitte le squat, rendez vous au quartier du Port-du-Rhin. Le feu a pris, un peu partout. On a érigé des barricades, une en particulier brûle sur le pont de l’Europe, symbole de nos illusions parties en fumée. Notre organisation est à toute épreuve : planqués derrière une immense banderole déployée pour l’occasion et – ironie douce-amère – demandant la fins des combats dans le monde, nous préparons nos actions. Des pétards sont lancés, auxquels répondent des bombes lacrymo de la police. Nous sommes nombreux, tous de noir vêtus, ici en ce jour pour montrer le peuple et sa force à ceux qui nous gouvernent au nom du Capital. Des wagons ont été déroutés de leurs rails et posés sur la route, bloquant ainsi le passage aux forces de l’ordre omniprésentes. Nous ne nous attaquons pourtant pas aux personnes, mais aux biens du capital afin de faire perdre le maximum d’argent aux entreprises. Voilà pourquoi la pompe à essence brûle. Mais le « bras armé du capitalisme » est partout, y compris parmi nous. Des faux anarcho-libertaires, faux-jetons, faux frères mais vrais flics provoquent leurs collègues anti-émeutes qui nous tombent dessus à bras raccourcis. Sitôt que l’un de nous est pris, nous nous fonçons vers la ligne adverse pour le tirer (au sens propre) de là puis nous évacuons en courant et nous dispersant. La mobilité est primordiale, ne JA-MAIS s’arrêter. J’ai pris des coups, en ai donné ; les yeux et la gorge me piquent mais l’adrénaline me fait tenir.

Des collègues, cocktails molotov en main m’apprennent qu’un hôtel-Ibis est en feu alors que nous nous rendons vers le Jardin des Deux-rives, notre point de ralliement. Au dessus de nous, des hélicoptères policiers nous survolent. Avec tout ça j’en ai perdu la notion du temps, il doit être dans les 15h, I just don’t give a f*** ! Aujourd’hui l’idéal triomphera. Alignés en rangs serrés, anonymes, nous faisons face à ceux de la police. Je me rappelle que l'arme numéro un de la police est la peur. Une fois celle-ci détruite dans notre esprit, la police devient tellement facile à affronter. Divers projectiles fusent, puis c’est la dispersion générale. Une nuée de corbeaux noirs, oiseaux de mauvais augures, est lâchée sur Strasbourg, chacun de son côté avec au fond de lui le slogan « battez-vous, mais restez libres ! »

La police est partout, et sur les nerfs. Moi aussi, j’ai les nerfs à vifs. Trop de gaz, de bruit, d’eau, de coups ; du coup je ne sais plus où j’en suis, ce que j’ai fait. Je vois la grande manif au loin, au bout d’une rue. Mais entre elle, matrice nourricière accueillante pour ses enfants égarés, et moi se dresse un barrage filtrant tenu à la fois par les pacifistes voulant protéger la manif et les flics. Ceux-ci frappent à tour de bras. Les gens passent les mains en l’air et toute personne vêtue de noir est systématiquement passée à tabac. Derrière moi un cor sonne. « J’aime le son du cor le soir au fond des bois » disait de Vigny, et cet instrument, loin de sonner mon hallali, me semble tout autant propice : un groupe de manifestants déguisés en clowns musicaux se rapproche. Débarrassé de mon sweat noir en un tournemain, c’est avec un nez rouge que je rejoins le grand cirque déambulant.

La ville est comme enrobée d’un manteau de fumées diverses. Mais l’espoir demeure. Et partout brûlent des tas d’habits noirs.

Et c’est là que je m’éveillais en sursaut et sueurs. Je ne sais si ce drôle de voyage au pays des contestataires anarcho-libertaires m’a été causé par un excès de psychotropes alcoolisant ou non, une indigestion d’informations multiples et variées sur le sujet ou bien une inspiration paranormale ; toujours est-il que je me refuse à toute analyse freudienne de mon songe. Ce serait trop facile, et puis je ne sais même pas comment je me suis sorti d’affaire. Laissons donc les « faits » parler d’eux-mêmes, moi je vais juste tenter de retourner à Strasbourg, pour de bon cette fois-ci, histoire d’imaginer cet autre monde possible depuis le pont de l’Europe. Sans capuchon noir.

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