29 mai 2009

Histoire d'histoires


Raconter des histoires.

Voilà ce que le jeune homme que je suis souhaitait faire avant tout. Ne pas s’en conter à lui-même, mais bien commencer par dire, écrire, raconter. Une petite formation en histoire après et j’en suis toujours là. À me torturer l’esprit sur la nuance entre écrire l’histoire et écrire des histoires, chose que je préfère de loin et pour laquelle je suis plus fait.

En parlant d’histoire, un fait-divers est parvenu à mes oreilles dernièrement, et les a diantrement alarmées. À ce qu’il paraît, la Glorieuse Fédération de Russie a profité des commémorations de la victoire dans la Grande Guerre Patriotique (ou la Seconde Guerre Mondiale pour nous autres occidentaux) le 9 Mai pour inaugurer une commission plus ou moins compétente, chargée de lutter contre les mauvaises interprétations de l’histoire. Pour faire simple, cette commission a pour objet de lutter contre les études historiques s’éloignant peu ou prou de la belle image d’Epinal du peuple russe (grand, blond, l’œil vif et la poitrine musclée, une sorte de Stakhanov-soldat) se levant pour lutter contre l’hydre à trois têtes nazie et libérant ensuite l’Europe de l’Est d’un joug national-socialiste. Pour le plus grand bonheur des peuples évidemment.

Évidemment, les peuples en question (Lettonie, Géorgie, Lituanie, Ukraine, j’en passe et des meilleures) estiment -à tort selon la Russie, et comme l’on sait depuis toujours, le tort tue- qu’une cinquantaine d’années de socialisme totalitaire soviétique ne peuvent plus trop être considérées comme la libération ultime de l’homme par l’homme (1) et enseignent à leurs chères têtes blondes (et brunes, et châtain, et peut-être même rousses mais je ne sais pas bien) une histoire un peu éloignée de la belle mythologie soviétique. Et le sujet fâche.

Car on a beau dire ce que l’on voudra sur l’effondrement de l’Union Soviétique, « you don’t mess with the USSR (2) ». Un point c’est tout. En même temps je me mets à la place de Medvedev (rechercher dans l’encyclopédie à marionnette de Poutine) et je comprends sa réaction : « Nan mais oh (accent russe, NdT), ce ne sont pas des petits pays racistes envers leur population russe qui vont nous donner des leçons d’histoire. Et ce n’est pas parce qu’elles ne font plus partie de l’Empire [enfin, de l’Union, j’ai toujours eu du mal à suivre les changements de logo pour cacher une faute affreuse, comme le Crédit Lyonnais devenant LCL après l’affaire Tapie, NdT] qu’on va leur laisser dire ce qu’elles veulent. Regardez ce que la France a réussi à faire avec ses colonies depuis les années 60, regardez ensuite ce qu’on a mis à la Géorgie ces derniers mois. Pourquoi pas nous ? »

Un léger sourire ironique aux lèvres, je repense alors à une doctrine professée dans le début des années 1990 par un chercheur californo-américain au nom nipponisant (et si le proverbe ancestral dit « nippon ni mauvais » il faut avouer que sur le coup … eh bien il fût plutôt mauvais), la fameuse théorie de la fin de l’histoire du Professeur Fukuyama. Dans l’idée, il s’agit d’une profession de foi argumentée annonçant -à la manière d’un témoin de la Java te disant « elle est proche »- la fin de l’histoire avec l’effondrement du bloc soviétique, et l’avènement d’une nouvelle ère de joie, bonheur et prospérité. Certes je manichéïse un tantinet la pensée du sieur, mais qu’importe, l’idée est là. Et à ce jour je n’ai pas encore tranché pour savoir s’il a fait une overdose de films d’action américain (se terminant invariablement par la fin d’une histoire, normal c’est un film me direz-vous, et la victoire de l’Amer-hic, sorte de hoquet pouvant rester en travers de la gorge) et le considérer en tant que tel comme une victime d’Hollywood, ou bien si au contraire cet hégélien convaincu s’est laissé emporté par les théories du maître, du Maître pardon, et a tenté de les appliquer à tort et à travers. Toujours est il que cet ex-néo-con (pour néo-conservateur n’allez pas croire) n’a pas mis dans le mille (au contraire de certains avions mais ceci est une autre histoire).

Bref, lorsqu’un gouvernement commence à se pencher sur l’enseignement de l’histoire, sur ce qui est bon ou non, c’est que cela va mal. Ne croyez pas un instant que je parle de la France et de la prise en charge par chaque gamin de CM2 de l’esprit d’un petit juif génocidé (projet heureusement mis aux oubliettes suite à la proposition teintée de jalousie d’un titulaire d’une chaire d’Histoire Ancienne de faire adopter aux 6èmes un légionnaire tombé à Pharsale), non non, je parle de la Russie. Qui dépasse de loin notre petite île Guy-Moquesque en voulant aussi interférer dans l’enseignement de l’histoire dans les autres pays. Je cite « Nous serions ravis de laisser l’Histoire aux historiens, mais cela n’est pas possible. […] En butte à des programmes de falsification de l’Histoire pilotés par d’autres Etats, nous devons dresser notre propre programme national de lutte pour la vérité historique » Ou le retour de la Guerre Froide à travers les manuels d’histoire.

Je dois avouer qu’une petite pointe d’excitation me titille à l’idée des scénarii possibles pour un prochain James Bond en prenant en compte ces évènements :
Russie, aujourd’hui. Une obscure commission d’anciens membres du KGB s’est vue confier la tâche d’infiltrer les esprits du monde par le biais des livres d’histoire. Commençant par les pays limitrophes, l’action de ce groupuscule aux crédits illimités commence à ébranler les fondements de certaines démocraties occidentales. Le président français semble avoir été converti (peut-être lors d’un apéro vodkaisé avec l’ex-président, ex-plongeur de combat, ex-super héros russe ayant donné lieu à une conférence de presse remarquable) et a dernièrement proposé toute une série de lois mémorielles visant à reconnaître les torts de l’Etat Français dans l’affaire des Emprunts Russes. D’autres Etats semblent en cours d’envahissement (l’Allemagne semble ainsi être en voie de reconnaître que Staline avait été drogué par les SS lors de la signature du pacte germano-soviétique ; et les Etats-Unis veulent rendre l’Alaska à la Russie pour un rouble symbolique à titre de réparation d’une erreur historique), et étant donné que McCarthy est malheureusement décédé, seul 007 semble en mesure de résoudre cet insondable problème. Enjeu : la liberté de penser. Méthode : Permis de tuer, Aston Martin, splendides espionnes russes et armes révolutionnaires.
Oui je sais, j’extrapole légèrement, me fondant sur un fait-divers pour élaborer toute une mythologie risquant de faire se retourner dans sa tombe Barthes. Mais souvenez-vous, par quoi ais-je commencé cet article déjà ? Vous l’avez ?
Raconter des histoires. Voilà ce que le jeune homme que je suis souhaitait faire avant tout !

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(1) Voir à ce sujet la transposition (dans l’esprit et non la lettre) de la fameuse phrase de Coluche « le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, le socialisme c’est le contraire »
(2) « Faut pas déconner avec l’URSS », référence implicite au titre de la comédie de mœurs récemment génialement interprétée par Adam Sandler, You don’t mess with the Zohan

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